"Israël ne déclenchera pas une guerre au Liban pour le compte l'Arabie saoudite"

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Le Liban est l'un des terrains où se joue le conflit larvé entre l'Iran et l'Arabie saoudite selon Sima Shine, chercheuse et ex-responsable de la division recherche du Mossad.
 
Les relations entre l'Iran et l'Arabie saoudite ainsi que l'alliance de Téhéran et de Moscou sont à l'origine d'un rééquilibrage des forces au Moyen-Orient. Comment les choses sont-elles perçues en Israël? A l'occasion de son passage à Paris à l'invitation de l'Europe Israel Press Association (EIPA), L'Express a interrogé Sima Shine, chercheuse à l'Institute for National Security Studies (INSS) et ancienne responsable de la division recherche du Mossad. 
 
Pourquoi, selon vous, les relations saoudo-iraniennes ont-elles atteint un tel degré de tension? 
 
Les relations entre les deux pays sont mauvaises depuis la révolution iranienne en 1979. A son arrivée au pouvoir, l'ayatollah Khomeyni proclamait que la dynastie des Saoud devrait être éliminée.  
 
De son côté, l'Iran met en cause la gestion du pèlerinage de la Mecque par les autorités saoudiennes et accuse la monarchie saoudienne de soutenir des minorités rebelles sur son sol [au Sistan-Baloutchistan]. Le pouvoir iranien est aussi nerveux face à ce qu'ils perçoit comme une coopération israélo-saoudienne. 
 
Les deux pays sont opposés sur de nombreux dossiers: Téhéran soutient Bachar el-Assad en Syrie, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, des acteurs auxquels s'oppose l'Arabie saoudite. Pour sa part, Riyad estime que l'Iran [pays à majorité chiite] cherche à déstabiliser la région par le biais des différentes communautés chiites des pays arabes, y compris celles d'Arabie saoudite et de Bahreïn. 
 
De fait, l'Arabie saoudite ne peut que constater les avancées de Téhéran... 
 
Oui. Des progrès qui ne sont pas seulement imputables à la détermination de l'Iran, d'ailleurs. Le pays a exploité des événements avec habileté. Il n'est pas à l'origine de la brouille entre Riyad et Doha, mais en a tiré parti: le Qatar est richissime, il partage un champ gazier avec l'Iran, et pourrait être intéressé par des investissements chez son voisin. Même chose au Yémen. Téhéran n'a pas commencé la guerre, mais il a compris le potentiel qu'offrait le soutien aux rebelles houthis, maîtres de la frontière avec l'Arabie saoudite. 
 
Ces tensions ont tout lieu de s'aggraver avec le renforcement du pouvoir du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, qui se sent encouragé par Donald Trump à la confrontation avec l'Iran. 
 
Pour autant, je ne crois pas à un conflit militaire direct entre les deux pays. Téhéran sait que les États-Unis ne laisseront pas tomber Riyad. De son côté, la monarchie, en dépit de son potentiel militaire, est consciente qu'elle ne peut vaincre l'Iran militairement. Mais la confrontation par procuration va s'accroître. 
 
Au Liban, notamment? 
 
Tout le monde a été surpris de la démission de Saad Hariri. Personne ne sait quel est le véritable objectif de Riyad ni quelles seront les conséquences à court et à moyen terme de ce geste. Personne ne sait si les dirigeants saoudiens ont même un plan. 
 
Israël maintient de bonnes relations à la fois avec les États-Unis et la Russie. L'alliance de Moscou avec Téhéran ne remet-elle pas en cause cet équilibre? 
 
Israël tient à ses bonnes relations avec la Russie. C'est l'un des grands changements avec la période soviétique: l'URSS avait des relations avec un seul des deux camps. Aujourd'hui, le Kremlin parle à tout le monde. Le roi Salmane rentre d'une visite à Moscou. Benyamin Netanyahu s'y rend plusieurs fois par an. En discutant avec tous, la Russie s'est assurée une position solide. D'autant plus solide que les États-Unis veulent, eux, réduire leur engagement -hormis pour combattre Daech.  
 
Certains pensent que la Russie pourrait lâcher l'Iran dans le cadre d'un deal avec Washington. Je ne le crois pas. Le Kremlin est devenu maître du jeu au Moyen-Orient grâce à Téhéran. Le succès de la Russie en Syrie n'aurait pas été possible sans la présence au sol des milices pilotées par l'Iran. Cela explique les paroles de Lavrov [le ministre russe des Affaires étrangères], qui a affirmé, cette semaine, que "la présence iranienne en Syrie est légitime". La coopération entre les deux pays a pu apparaître comme tactique. Mais parfois, la tactique se transforme en stratégie. 
 
Comment le renforcement de la présence iranienne en Syrie est-il perçu par Israël? 
 
C'est une préoccupation majeure pour notre pays. D'où l'inquiétude d'Israël et de l'Arabie saoudite. Israël multiplie les rencontres avec les responsables américains à ce sujet. Washington comprend que nous craignons le renforcement du Hezbollah libanais à nos frontières. Mais la position des États-Unis, leurs atouts, y sont insuffisants pour imposer leurs vues au Kremlin. 
 
La Syrie est un terrain d'innovation pour l'Iran. C'est la première fois qu'il a envoyé des forces militaires hors de ses frontières. Discrètement, d'abord, puis ouvertement. Pour soutenir le régime de Bachar el-Assad, il a ensuite fait appel au Hezbollah, et, voyant que cela ne suffisait pas, mobilisé des milices chiites de combattants irakiens et afghans. 
 
A ce stade, le rapport de force est l'avantage de Téhéran. Il avance ses pions au plan militaire comme civil. Sa volonté de maintien à long terme se manifeste par des investissements dans l'économie, avec des projets de centrale électrique, de raccordement des réseaux électriques d'Iran, d'Irak et de Syrie, de création d'une université... De sorte que même s'il devait réduire sa présence militaire, l'Iran aurait d'autres moyens de peser sur l'avenir de la Syrie. 
 
Jusqu'où la convergence d'intérêt d'Israël et des monarchies du Golfe peut-elle aller? Certains médias disent que Riyad pousserait Israël à attaquer le Hezbollah... 
 
Israël ne déclenchera certainement pas une guerre au Liban pour le compte l'Arabie saoudite! Nous préférons que perdure le calme à notre frontière, comme c'est le cas depuis dix ans. Le Hezbollah n'a pas non plus intérêt à déclencher une guerre contre Israël maintenant. 
 
Si pourtant une confrontation devait se produire, elle serait très différente de celle de 2006. Pour Israël désormais, le Liban c'est le Hezbollah, et le Hezbollah, c'est le Liban. Sans lui, le chrétien Michel Aoun ne serait pas président. Les forces militaires du Hezbollah sont bien mieux équipées que l'armée libanaise. Le mouvement chiite s'est nettement renforcé militairement. Parfois, la capacité pousse un acteur à agir d'une manière qui n'aurait pas été possible sans cette capacité. 
 
Par le passé, Israël était prié de ne pas frapper les infrastructures de l'État libanais: les installations électriques, les ponts... "concentrez-vous sur le Hezbollah", disait-on. J'espère qu'il n'y aura pas d'autre guerre avec le Hezbollah. Mais si elle a lieu, nous ferons en sorte que la confrontation soit brève, que la population ait intérêt à ce qu'elle cesse. 
 
Que pensez-vous de la décision de Trump de ne pas "certifier" l'accord sur le nucléaire iranien? 
 
Il y a deux problème avec l'accord sur le nucléaire iranien. D'abord les "clauses sunset" [le fait que certaines restrictions sur le programme nucléaire soient levées d'ici 10 ou 15 ans]. L'Iran pourra alors légitimement continuer à le développer comme il l'entend. Le régime iranien dit qu'il veut devenir comme le Japon. Parvenir au seuil technologique qui permette de fabriquer une arme nucléaire. Un scénario effrayant pour Israël. 
 
Le deuxième point préoccupant est que l'accord autorise la recherche et développement. Cela contredit l'objectif voulu: bloquer les avancées du programme nucléaire iranien. D'ici 5, 7 ou 10 ans, le pays aura nettement amélioré sa technologie, aujourd'hui désuète. Grâce à ce droit à la recherche, l'Iran pourra être en capacité d'accéder très rapidement à la construction d'une bombe atomique. 
 
On ne peut raisonnablement dénoncer l'accord de Vienne, mais nous pensons qu'il faut faire pression sur l'Iran, en menaçant de rétablir les sanctions, par exemple. Le président français a dit qu'il n'était pas satisfait du programme de missiles balistiques de l'Iran ni de son comportement dans la région. Si les autres pays européens apportent leur soutien à Emmanuel Macron, ils peuvent essayer d'imposer des négociations sur ces thèmes. L'Europe a les moyens de peser puisqu'elle a maintenant de bonnes relations avec l'Iran, qui, lui, a besoin de ses investissements. 
 
 
 
 

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